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Une trilogie de l’Orient comme construction culturelle et politique !

À la question « Pourquoi travaillez-vous sur la mémoire ? », Moktar Ladjimi répond : « Je ne m’en suis pas rendu compte ». Pour lui, filmer, documenter un sujet revient naturellement à interroger le passé. Au-delà d’un choix réfléchi, c’est un réflexe artistique. Une manière de penser le monde. Il insiste avec ferveur « Une nation sans histoire est comme un individu sans mémoire. »
Entre 1997 et 2000, Ladjimi a entrepris une recherche filmique sur le cinéma en Orient au regard de l’Occident, un véritable travail d’orfèvre de documentation et d’exploration. Il a collaboré avec Arte pour les deux premiers volets de la trilogie, tandis que le troisième a été produit par La Cinquième. Le visionnage de cette trilogie rare constitue une découverte inattendue, riche en enseignements historiques et culturels.
Le Ciné colonial - Le Maghreb au regard du cinéma français (1997), Mille et Une Danses orientales (1999), L'Orient des cafés (2000) : Ces trois films ont en commun une même méthode : le montage d’archives, d’extraits filmiques et de témoignages, qui permet de faire dialoguer les époques et de révéler les strates idéologiques cachées derrière des pratiques en apparence anodines ou folklorisées.
Le Ciné colonial est le plus frontalement politique, il déconstruit l’imaginaire colonial français en Orient et au Maghreb. À travers les films Lumière, Méliès et leurs héritiers, le cinéma apparaît comme un outil de propagande, produisant un Orient figé et hiérarchisé, exposant un récit fabriqué qui circule entre arts populaires et dispositifs de domination symbolique.
Dans le deuxième volet Mille et Une Danses orientales : La danse orientale est abordée comme un lieu de projection. Art populaire et vivant en Afrique du Nord et en Égypte, elle devient, sous le regard colonial et orientaliste, un objet de fantasme et d’exotisation. Le film montre comment la colonisation et les représentations occidentales ont enfermé cette danse dans des clichés, tout en soulignant les influences croisées entre Orient et Occident. L’intérêt majeur du documentaire réside dans sa conclusion : les formes contemporaines de danses orientales apparaissent comme des tentatives de réappropriation, de création et de résistance esthétique face aux images héritées.
Dans le dernier volet de la trilogie Le café y apparaît comme un objet-monde. Parti du Yémen, traversant Le Caire avant de gagner l’Europe, il engendre des espaces de parole et de création. Le film montre comment les cafés orientaux deviennent des lieux de sociabilité, puis comment ce modèle est transformé, exporté, parfois vidé de sa charge politique. C’est l’histoire d'un espace public en mutation, allant des cafés du XVIe siècle aux cafés internet contemporains. Ladjimi y lit déjà une tension centrale de la trilogie : ce que l’Orient invente, et ce que l’Occident transforme, réinterprète ou neutralise.
Ce qui unit profondément ces trois films, c’est une même question : qui regarde qui, et depuis où ?
Du café au corps dansant, jusqu’à l’image cinématographique, Ladjimi montre comment les pratiques culturelles orientales ont été reformatées et instrumentalisées, mais aussi comment elles restent des lieux de circulation et de résistance.
La trilogie démontre ainsi que le documentaire peut devenir un outil critique, à la croisée de l’histoire culturelle, de l’anthropologie et de l’analyse politique, capable de déconstruire les représentations d’un Orient mythifié.
Fadoua Medallel | Décembre 2025






