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L’enfance et la souffrance : une quête de sens dans l’ombre des adultes !
En 1995, Darezhan Omirbaev livre avec Kardiogramma un film à la fois sobre et poignant, où se dessine une réflexion profonde sur l’enfance et la quête d’identité. Le film narre l’histoire d’un jeune garçon souffrant de problèmes cardiaques, interné dans un centre médical pour enfants, où il se trouve confronté à un double défi : celui de sa santé et de sa condition d’étranger, car il ne parle pas la même langue que les autres enfants. Ce qu’il vit, en somme, est une double épreuve : physique et émotionnelle, un peu comme si son corps et son âme étaient à la fois malades et étrangers au monde.
Omirbaev fait de Kardiogramma un film où l’on ressent ce qui ne se dit pas, plus que ce qui se dit. Il choisit de raconter l’histoire de son protagoniste à travers un regard distant et empathique. Le film est une lente immersion dans l’intériorité de l’enfant, une exploration métaphorique de son cœur malade et de son isolement culturel.
Dans l’histoire de ce film, il y a aussi une vraie question de communication : non seulement celle entre les enfants et le monde qui les entoure, mais aussi celle entre le réalisateur et son propre pays, le Kazakhstan, dans un moment de transition après l’effondrement de l’Union soviétique. Le film de Omirbaev est un miroir tendu à une époque de mutation. L'identité nationale se redéfinissait et les traditions se heurtaient aux influences extérieures. Ce garçon, dont le cœur souffre, semble être un symbole de ce malaise post-soviétique, ce déchirement intérieur entre un passé héritier d’un empire et un avenir encore flou, difficile à saisir.
L’un des éléments marquants du film est l’utilisation des paysages. La caméra de Omirbaev ne craint pas de filmer des espaces vastes et souvent vides, à l’image de la solitude du protagoniste. Ce vide visuel, loin de souligner une absence, devient une métaphore de la fragilité de l’enfant et de sa condition. Comme si chaque plan était une respiration du cœur malade, chaque paysage un écho silencieux à sa douleur intime. On retrouve là une parenté avec l’œuvre de Kiarostami, qui, dans Le Goût de la cerise, utilisait la nature pour réfléchir à la solitude de l’individu.
À la fin, quand le garçon se rapproche enfin de ses compagnons, lorsqu’il commence à saisir leurs jeux et à comprendre, ne serait-ce qu'un peu, le monde qui l’entoure, on comprend que la guérison du cœur n’est peut-être pas qu’une question médicale. La véritable guérison semble être celle du langage et de la communication. En cela, Kardiogramma est une parabole sur l’adaptation, à un environnement social, à un monde qui, parfois, semble ne pas nous comprendre. Omirbaev nous invite à considérer cette fragile beauté de l’enfant dans un monde trop complexe, et pourtant, toujours capable de créer des ponts.
Omirbaev, avec une grande maestria, parvient à raconter cette histoire de manière telle que l’on se sent, à la fin, aussi perdu et désorienté que ce jeune garçon. Et comme souvent avec les grands films, Kardiogramma nous laisse avec plus de questions que de réponses, mais aussi cette impression douce et amère d’avoir frôlé quelque chose de profondément humain.
Fadoua Medallel | Mars 2025