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In Three Layers of Darkness : Kafka sous le soleil tunisien !
Le court métrage In Three Layers of Darkness (ظلمات ثلاث), de Houcem Slouli, plonge le spectateur dans l’expérience oppressante de Ghassen, jeune Tunisien persuadé que son avenir se trouve loin de son pays. Le titre, inspiré du Coran, renvoie aux trois ténèbres précédant la naissance (celles du ventre, de l’utérus et du placenta) évoquées dans la sourate Az-Zumar. Slouli transforme ce passage symbolique en métaphore de l’expérience de Ghassen : réussir à franchir les étapes de son projet de départ, c’est pour lui passer de l’obscurité à la lumière, mais chaque phase de cette quête reste traversée par des ombres et des obstacles bureaucratiques.
Le film se déploie à plusieurs niveaux : récit social, essai méditatif et expérience esthétique inspirée par le cinéma expressionniste et kafkaïen.
À première vue, le court métrage suit une intrigue simple : Ghassen cherche à obtenir un visa. Cette mission se transforme rapidement en expérience kafkaïenne, où les démarches administratives semblent arbitraires et les procédures incompréhensibles. Les espaces qu’il traverse, bien que modestes, dégagent une atmosphère impersonnelle qui amplifie la tension et la frustration, donnant au spectateur le sentiment d’oppression et d’impuissance face à un monde bureaucratique opaque.
Slouli transpose l’univers de Kafka dans le contexte tunisien contemporain, faisant de Ghassen une figure fragile mais déterminée, confrontée aux labyrinthes invisibles qui régissent sa vie. Les frustrations quotidiennes deviennent des épreuves existentielles, transformant le court métrage en méditation sur la condition humaine.
Le réalisateur recourt à des principes stylistiques qui rappellent le cinéma d’Orson Welles pour traduire visuellement cette absurdité kafkaïenne. Les angles dramatiques et les contre-plongées soulignent la vulnérabilité de Ghassen face aux institutions, tandis que la profondeur de champ permet de montrer simultanément le personnage et le labyrinthe bureaucratique qui l’entoure. Les jeux de clair-obscur et d’ombre accentuent l’angoisse et traduisent la frustration, et les mouvements de caméra fluides plongent le spectateur dans le parcours labyrinthique du protagoniste. La mise en scène théâtrale et symbolique transforme les décors en obstacles existentielles et en allégories de la domination institutionnelle.
Cette approche crée un langage cinématographique riche, où la forme sert autant la réflexion que la narration, et où chaque plan devient un espace chargé de tension et de sens.
Slouli utilise des effets spéciaux pour inverser les rôles, brouillant les rapports de pouvoir et accentuant la dimension absurde et kafkaïenne de la situation. Cette manipulation visuelle, qui rappelle l’expérimentation du cinéma surréaliste et les distorsions de la réalité chez Buñuel ou dans certains films expressionnistes allemands, transforme les interactions ordinaires en situations déstabilisantes. Elle renforce l’impression que le système bureaucratique échappe à toute logique et que chaque personnage peut se retrouver à la fois oppresseur et opprimé, soulignant la porosité entre le réel et l’illusion, entre pouvoir et vulnérabilité.
In Three Layers of Darkness conjugue engagement social, expérimentation formelle et profondeur symbolique. Houcem Slouli transforme le parcours individuel de Ghassen en méditation universelle sur la naissance, la lumière et les ténèbres, sur l’absurdité des institutions et sur l’angoisse existentielle. Par son mélange d’essai filmique, de lecture kafkaïenne et d’esthétique Wellesienne, le court métrage illustre le potentiel du cinéma tunisien contemporain à combiner narration, réflexion et contemplation poétique, tout en offrant au spectateur une expérience émotionnelle et intellectuelle dense et mémorable.
Fadoua Medallel | Octobre 2025
