Cast & Crew
Exils à rebours : un road-movie sensoriel !

Quatorzième film de Tony Gatlif, primé par le prix de la mise en scène à Cannes. Le jury était présidé par Quentin Tarantino. Pour l’anecdote, Tarantino ne savait pas que Gatlif est français, il ne l’a su que le lendemain de la clôture.
“Le film est né du désir de me pencher sur mes propres cicatrices. Je n'ai pas voulu faire un film sur l'Algérie, que je connais mal, mais sur les enfants d'exilés à la recherche de leurs origines.” Michel Dahmani
Dahmani est devenu Gatlif dans les années 1970 pour éviter les discriminations liées à son origine algérienne.
Un jour, Zano (Romain Duris) propose cette idée un peu folle à sa compagne Naïma (Lubna Azabal) : traverser la France et l'Espagne pour rejoindre Alger et connaître, enfin, la terre qu'ont dû fuir leurs parents autrefois. Presque par défi, avec la musique comme seul bagage, ces deux enfants de l'exil se lancent sur la route. Ils se laissent un temps griser par la sensualité de l'Andalousie, avant de se décider à franchir la Méditerranée. D'un rythme techno à un air de flamenco, Zano et Naïma refont, à rebours, le chemin de l'exil. Avec, au bout du voyage, la promesse d'une reconquête d'eux-mêmes.
Gatlif parle sur le mode du chant pour surmonter la difficulté de dire et pour approcher au plus près cette déchirure, qui n’a pas encore été érodé par l’oubli. Son récit est nourrit par un attachement profond aux grands espaces et à la nature dans lesquels le duo est partie intégrante du Cosmos. Un hédonisme naissant et une quête du plaisir qui devient le leitmotiv de nos deux personnages. Dans un parcours musical, de guitares en tambours, qui, à la manière de Kusturica, apporte un parfum d’aventure et un grain de folie. “Quelle est ta religion?”, demande un candidat à l’immigration. “La musique”, répond Zano sans ambages.
Il y a quelque chose de provocateur et d’irresponsable dans la manière de filmer Zano et Naïma, en train de faire, pour le fun, le chemin inverse des immigrés africains pour qui l’Occident est le seul espoir de survie. Le périple prendra fin à l'arrivée à Alger, dans le quartier d'enfance de Gatlif (Boumerdes), dévasté pendant le tournage par un tremblement de terre.
Gatlif filme ses personnages comme des corps en mouvement habités d’une nostalgie sans passé. Ils forment une sorte de beat generation post-coloniale. Ils avancent à tâtons épris de nature et de rythmes. Le cinéaste ne filme pas frontalement : il se tient en retrait, regarde à travers un cadre dans le cadre, un hayon de camion, une fenêtre brisée. Le monde est là, saisi au vol et brut.
Le retour aux origines devient dérive, et la dérive devient rite. Zano et Naïma se laissent porter par le réel, jusqu’à plonger sans retenue dans une scène de transe de dix minutes, filmée en plan-séquence sur des rythmes soufis. Une séquence magistrale où les corps vacillent et se libèrent ! Cette échappée incarne le basculement : un moment suspendu, traversé par un souffle d’espoir et une lucide désillusion.
Par sa mise en scène intuitive et sa liberté formelle, Exils est un chant poétique. Il traverse les frontières et fait danser, sans jamais prétendre refermer les plaies de l’exil.
Fadoua Medallel | Juillet 2024