Backstage : Une errance chorégraphique entre intensité et flottement !
Coréalisé par Afef Ben Mahmoud (Tunisie) et Khalil Benkirane (Maroc), Backstage explore un récit porté par une troupe de danseurs, entre performance et expérimentation visuelle. Magnétiquement emmené par Sidi Larbi Cherkaoui et une distribution issue des scènes maghrébines et européennes, le film a circulé dans plusieurs festivals internationaux. Il témoigne d’un désir singulier : donner au cinéma de nouveaux rythmes et de nouvelles manières de s’adresser au public.
Les co-réalisateurs développent un récit où le corps en mouvement devient un véritable langage. Le film s’enracine dans une esthétique sensorielle forte, où la danse prolonge et exprime les émotions des personnages. Les tableaux dansés sont souvent magnifiques, et la caméra capte avec précision l’énergie des corps, leur interaction constante avec l’espace. On pense à Pina (2011) de Wim Wenders, où la danse devient narration, ou encore à Climax (2018) de Gaspar Noé, qui explore la tension entre performance et chaos. Chaque interprète impressionne par sa présence scénique, soutenue par une mise en scène qui valorise le langage corporel. Même si certains moments de jeu sont moins convaincants, la puissance évocatrice des chorégraphies porte le film.
Sur le plan narratif, Backstage aborde une mosaïque de thèmes complexes : tensions amoureuses, dynamiques de groupe, épuisement psychologique. Il évoque également des enjeux plus larges : les séquelles de la décennie noire, la guerre en Syrie, l’impact de la pandémie de Covid sur les corps et les esprits. Des réflexions plus intimes émergent, telles que la peur du vieillissement chez les danseurs, le choix de renoncer à la maternité pour préserver son corps, ou la complexité d’une grossesse née d’une relation avec un homme bisexuel en questionnement. Ces pistes enrichissent la toile de fond, même si leur traitement reste souvent elliptique, laissant au spectateur le soin de combler les non-dits - parfois au prix d’une certaine frustration.

Au-delà des parcours individuels, Backstage interroge la place de l’humain dans son environnement. Dès la première séquence, la troupe danse devant des écrans diffusant des images de catastrophes écologiques, faisant de la danse un acte de résistance. Plus tard, la troupe se perd dans une forêt obscure, où cette errance nocturne révèle une tension centrale : homme versus nature, contrôle versus abandon. Les danseurs, porteurs d’un monde en crise, affrontent la peur, de l’inconnu et la frustration. Leur périple se clôt de façon surprenante sur une attaque de singes : un sous-texte, comme d’autres dans le film, qui demeure malheureusement peu exploité sur le plan dramaturgique.
Plusieurs duos et trios incarnent une sensualité silencieuse. Le trio formé par Ali Thabet (Ilyes), Hajiba Fahmy (Sondos) et Nassim Baddag (Seif) rappelle la célèbre scène du film In the Mood for Love (2000) de Wong Kar-wai : les corps s’effleurent, hésitant entre passion et retenue. Le duo homosexuel muet, incarné par Sofiane Ouissi (Malik) et Sidi Larbi Cherkaoui, pousse cette logique encore plus loin, leur relation n’existant que par le toucher. La dynamique entre Cherkaoui et Afef Ben Mahmoud suit un registre similaire, fait de proximité corporelle et de silences expressifs.
L’un des moments les plus poignants est la séquence onirique entre Sondos Belhassen (Nawel) et son mari disparu. Hors de la continuité linéaire, la nature devient le théâtre d’un dialogue fantomatique : Nawel convoque son mari par la danse, avant que tout ne s’efface, laissant la forêt reprendre ses couleurs naturelles. Ce geste éphémère incarne une volonté de résistance à l’oubli, un désir de figer un instant précieux dans la mémoire.
En dépit de ces riches propositions, Backstage demeure une œuvre à la fois fascinante et inaboutie. Son esthétique visuelle puissante et ses correspondances poétiques séduisent, mais l’abondance de pistes thématiques parfois trop esquissées et l’absence de densification dramaturgique créent un sentiment d’éparpillement. Comme si l’élan chorégraphique peinait à trouver un fil narratif pleinement assumé. Ce film préfère l’intuition à la démonstration. Et peut-être est-ce là sa vraie nature : Une fugue incertaine, mais profondément humaine.
Fadoua Medallel | Avril 2025