Cast & Crew
Anora : Une tendresse en équilibre sur le chaos !
Après The Florida Project et Red Rocket, Sean Baker continue d’explorer les recoins invisibles de l’Amérique contemporaine : celle qui vit à la périphérie des contes hollywoodiens dominants. Palme d’or au Festival de Cannes 2024, Anora s’attache à une jeune escorte de Brooklyn propulsée dans une aventure inattendue : celle d’un mariage éclair avec le fils d’un oligarque russe.
Dès les premières scènes, le style Baker s’impose : caméra à l’épaule, montage nerveux, dialogues spontanés. La mise en scène épouse le rythme frénétique de son héroïne. Anora veut croire à une échappée possible. Mais la machine est déjà lancée. On est embarqué dans un tourbillon où deux réalités parallèles flirtent sans cesse, où les personnages tentent de maîtriser tant bien que mal des trajectoires chaotiques. Derrière cette surface tapageuse, se dessine une sombre réflexion sur le rêve américain… sur ce qu’il détruit. Ce film est un récit d’une ascension sociale ratée, un récit de survie dans une société où tout, des relations à l’amour, semble monnayable.
Sean Baker filme sans filtre les lieux du quotidien : les rues de Brooklyn, les bars miteux, les arrière-salles, les appartements décrépis. Rien n’est magnifié, tout respire le réel. On pense aux frères Safdie ou à Cassavetes, pour cette manière de capter une énergie urbaine, vivante et presque documentaire.
L’interprétation de Mikey Madison (ou l’actrice choisie par Baker) est l’un des grands atouts du film. Elle livre une performance à la fois explosive et fragile. Face à elle, Mark Eydelshteyn donne une densité inattendue au jeune héritier : son personnage bascule sans cesse entre arrogance et désarmement intime. Leur duo explosif et maladroit, constitue l’un des moteurs émotionnels du récit.
Baker a ce talent rare pour capter l’énergie brute du réel et composer des portraits sociaux vibrants. Pourtant, il s’arrête souvent à cette surface. Tout au long du film, on suit Anora, on la comprend, on la soutient mais sans jamais pleinement pénétrer son monde intérieur. L’émotion est là, mais elle affleure plus qu’elle ne s’installe. À force de privilégier le rythme et l’urgence, le cinéma de Baker sacrifie parfois l’épaisseur psychologique. On a souvent le sentiment d’un film toujours à vif, toujours sur le fil, sans temps pour respirer.
En somme, Sean Baker livre un film haletant plus attaché à peindre une atmosphère qu’à fouiller les âmes. Cela ne veut pas dire qu’il est creux au contraire, il possède une vraie force d’observation, une sincérité de regard et un sens aigu du chaos social.. Mais il laisse le spectateur à une certaine distance émotionnelle. Un cinéma traversé d’élans fulgurants, mais qui s’arrête parfois aux portes du vertige.
Fadoua Medallel | Mai 2025