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Je est une autre : Une errance douce dans la mémoire oranaise !

Dans son premier film « Je est une autre », Walid Sahraoui nous invite à pousser la porte d’une petite bouquinerie d’Oran, tenue par Salim, libraire passionné et gardien d’un microcosme fait de livres et de confidences.
Né à Alger et formé à l’histoire en France, Sahraoui filme ici sa ville d’adoption avec la curiosité d’un chercheur et la tendresse d’un poète. Il appartient à cette génération de cinéastes algériens qui tentent de réconcilier mémoire intime et mémoire collective.
Le film s’ouvre sur une scène fondatrice : la découverte, dans un vieux vinyle, d’une photographie de femme. Un événement que le réalisateur a lui-même vécu, et qui a été à l’origine du projet. De cette expérience intime naît une enquête imaginaire sur « l’autre » du titre, en écho à la célèbre formule de Rimbaud : « C’est faux de dire : Je pense. On devrait dire : On me pense. […] Je est un autre. »
La bouquinerie de Salim est le cœur battant du film : un lieu de passage et de transmission. Les habitués défilent. Ils livrent des souvenirs et commentent leurs lectures. Ils s’attardent sur des fragments d’histoire personnelle. L’espace restreint de la boutique se fait reflet d’Oran, miroir de sa diversité et de son effervescence intellectuelle. Sahraoui filme ces moments avec une douceur, presque pudique, laissant le temps aux personnages de se déposer dans la lumière.
Ainsi, le film se déploie comme une dérive sensible, passant librement des conversations aux visages, des souvenirs aux fragments de chansons ou de lectures. Ce mouvement errant, affranchi du récit linéaire, peut déconcerter, mais il épouse la logique même du projet. Une exploration intérieure, guidée par le hasard, la parole et la passion du livre.
En fin de compte, la femme absente du titre n’est peut-être qu’un prétexte : le vrai sujet, c’est Oran elle-même, ville multiple et insaisissable, miroir de tous les « je » fragmentés.
L’un des moments les plus marquants du film survient avec l’apparition de Rihab Alloula, fille du grand dramaturge Abdelkader Alloula. Elle entre en scène un squelette à la main, clin d’œil à Ladjouad, pièce culte de son père. Ce geste introduit une nouvelle dimension : celle de la mémoire artistique algérienne. Dans Ladjouad, le squelette symbolisait un corps social vidé de son âme, une société en perte de sens. Ici, il devient trace et appelle à la mémoire vivante. Cette séquence, brève mais vibrante, rappelle que le cinéma, à l’instar du théâtre, peut ranimer les fantômes du passé.
Certes, dans « Je est une autre » : l’écriture hésite et les transitions manquent parfois de souffle. Certaines pistes se dispersent sans se rejoindre. Mais cette fragilité fait aussi partie du charme du film. Elle dit quelque chose de la démarche de Sahraoui : un geste artisanal, sincère et surtout profondément habité par l’amour des mots et de la lecture.
C’est un film d’écoute. Un film qui cherche à recueillir des voix, des émotions. Sous ses maladresses perce une véritable poésie : celle d’un regard tendre sur Oran, sur ceux qui la vivent et la lisent encore.
En fin de compte, « Je est une autre « n’est ni tout à fait un documentaire, ni tout à fait une fiction, plutôt un espace de passage entre les deux. Sahraoui y esquisse un cinéma de la douceur et du doute, où chaque livre devient une mémoire et chaque visage une histoire. Un premier film imparfait, certes, mais profondément attachant parce qu’il cherche, sincèrement, à comprendre comment l’on filme un souvenir.
Fadoua Medallel | Novembre 2025






