Cast & Crew
Arance Amare : le cinéma engagé qui donne voix aux ouvriers agricoles de Calabre
Dans un contexte marqué par l’exploitation et le travail clandestin, Arance Amare (Oranges amères), le film de Davide Tisato et Noé Coussot, s’attache à révéler la dignité et la colère silencieuse de ceux qui récoltent les fruits du sud de l’Italie.
Dès les premières images, le spectateur est surpris par une approche visuelle singulière : un triptyque horizontal qui présente simultanément trois images, multipliant les perspectives et les gestes au sein de l’orangeraie. Cette composition, qui conserve l’esprit de l’installation immersive originale, reflète la complexité des vies et des interactions entre les ouvriers, tout en traduisant la tension et la patience de leur quotidien.
En Calabre, ces hommes espèrent sortir de la précarité et trouver un emploi déclaré. Mais pendant la cueillette, la réalité reprend le dessus : le travail s’interrompt brusquement, les laissant dans l’orangeraie à attendre de nouvelles instructions. Entre les rangées d’arbres et les fruits gorgés de soleil, le film capte l’immobilité et l’attente. Une illustration métaphorique poignante d’un système économique qui consomme la main-d’œuvre aussi vite qu’il l’oublie.
Ce projet cinématographique s’est construit loin des clichés habituels sur les migrants et les travailleurs saisonniers. Avant même de filmer, les deux réalisateurs ont passé un mois complet aux côtés des ouvriers : discussions, ateliers d’écriture et réflexion collective pour repenser la manière dont ils souhaitaient être représentés.
« Leur image dans les médias ne leur convenait pas, » explique Davide Tisato. « Nous avons voulu filmer avec eux, et non pas sur eux. »
De cette démarche collaborative est né un tournage éthique et horizontal : chaque participant (réalisateurs, ouvriers, techniciens) a perçu le même salaire journalier. Un choix fort, presque politique, qui ancre Arance Amare dans une économie de solidarité autant que dans une esthétique du réel.
Si le dispositif triptyque fonctionne parfaitement pour montrer simultanément plusieurs perspectives, il perd en immersion par rapport à ce que l’installation originale pourrait offrir . Certaines séquences paraissent moins puissantes sur grand écran que dans l’espace triptyque, où le spectateur pourrait se déplacer et choisir son regard. Cette adaptation illustre les limites de la transposition d’un dispositif spatial interactif au format linéaire du cinéma.
Arance Amare s’impose comme un film à la fois esthétique et engagé, capable de transformer l’expérience documentaire en un espace de réflexion sur le travail et la dignité. Entre la précision visuelle du triptyque et l’attention éthique portée aux participants, le film témoigne de la force d’un cinéma collaboratif qui donne voix à ceux que l’on oublie trop souvent.
Fadoua Medallel | Octobre 2025
