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Nairobi Half Life : Un rêve d’acteur dans la jungle urbaine

Le cinéma kényan s’est développé tardivement comparé à d’autres cinémas africains comme le nigérian (Nollywood) ou le sud-africain. Jusqu’aux années 2000, la production restait limitée par le manque de financements, d’infrastructures, et par la censure héritée de l’époque coloniale. Mais une nouvelle génération de cinéastes a émergé, portée par les ateliers de formation et les coproductions internationales.
Sorti en 2012, Nairobi Half Life de Tosh Gitonga est produit dans le cadre du programme One Fine Day Films (fondé par le réalisateur allemand Tom Tykwer (Run Lola Run, Le Parfum, Cloud Atlas). Il a été le premier film kényan soumis aux Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger. Il a ouvert la voie à une esthétique urbaine locale et surtout réaliste, rompant avec les représentations folkloriques souvent imposées par les productions étrangères.
Le film explore le parcours de Mwas, jeune villageois aspirant à devenir acteur dans la capitale kényane. Tosh Gitonga, le réalisateur, s’identifie profondément à son personnage : « Je me reconnais dans le fait d’être venu à Nairobi et d’avoir réussi à faire quelque chose à partir de rien. À 17 ans, ma mère m’a encouragé à déménager pour plus de possibilités. Mon premier travail consistait à faire du café pour les producteurs et photocopier des scripts page par page. Les machines étaient mauvaises, et à chaque modification, il fallait tout recommencer. J’ai vu ma propre évolution à force de persévérance. »
C’est dans cette ville aux mille visages que Mwas croise Oti, un petit délinquant charismatique qui l’introduit dans un gang spécialisé dans le vol de pièces automobiles. Parallèlement, Mwas réussit à décrocher un rôle dans une troupe de théâtre locale Le Phoenix. Le film tisse ainsi un fascinant parallèle entre la scène artistique et la scène criminelle : dans les deux cas, il faut improviser, jouer pour exister.
Cette dualité structure toute la narration. Mwas vit littéralement entre deux mondes : celui du rêve et celui de la nécessité. Gitonga met en lumière le paradoxe d’une jeunesse tiraillée entre talent et délinquance, art et violence. Gitonga explique : « Ce qui m’intéressait, c’était de comprendre les raisons derrière la violence. Les jeunes ne veulent pas être violents ; ils choisissent de voler pour survivre. »
Ces thèmes rappellent le cinéma urbain international : City of God (Meirelles, 2002) pour son énergie et sa jeunesse livrée à elle-même, ou Tsotsi (Gavin Hood, 2005) pour la rédemption d’un jeune criminel. Mais Gitonga apporte une lecture kényane originale. Il choisit un réalisme immersif, avec cadrages proches des corps pour plonger le spectateur dans l’énergie urbaine. L’éclairage naturel et le son capté en direct rendent Nairobi tangible, presque documentaire. L’usage du sheng, langue urbaine locale, renforce l’authenticité culturelle.
Le jeu des acteurs est d’une intensité rare : Joseph Wairimu habite son rôle avec une sincérité bouleversante, oscillant entre innocence et désespoir. À ses côtés, Olwenya Maina donne corps à un Oti à la fois dur et fraternel, incarnation tragique d’un système sans issue. Leur relation, à mi-chemin entre amitié et perdition, constitue le cœur émotionnel du film.
Le film rend hommage à Tarantino dès l’ouverture : Mwas réinterprète Kill Bill: Vol. 2, ajustant l’intrigue à sa manière. On peut dire que Gitonga reprend l’énergie et le style visuel d’un cinéma pulp, mais l’adapte à la réalité urbaine de Nairobi, créant un mélange unique : réalisme social kényan et influence stylistique hollywoodienne.
Nairobi Half Life s’impose comme une fresque vibrante de la jeunesse kényane : moderne, lucide, vulnérable et obstinément créative. Gitonga y dépeint un monde où la violence n’est jamais gratuite, mais le fruit d’une nécessité sociale, donnant ainsi une profondeur humaine à ses personnages. Loin des clichés misérabilistes ou touristiques, le film propose une vision intérieure énergique de Nairobi, une capitale en tension, mais traversée par le souffle d’un rêve artistique : du cinéma au théâtre un espace de survie et d’affirmation dans le chaos contemporain.
Fadoua Medallel | Octobre 2025

