Cast & Crew
Fierté nationale : de Jéricho vers Gaza
Fragments de Palestine !
Le regard est fixé vers la Palestine, terrain où la mémoire devient champ de bataille. Le film, tourné en 2019 mais hanté par les tragédies plus récentes, suit Hassan Al Balawi, diplomate palestinien basé à Bruxelles, revenant sur sa terre natale. Le réalisateur Sven Augustijnen recompose un voyage de Jéricho à la frontière de Gaza.
Le film s’installe dans un rythme volontairement ralenti. Rien ne presse, tout s’étire. Cette lenteur devient une position éthique et compose le sens même du film. Elle opère comme un geste politique. Le cinéaste refuse le spectaculaire et l’urgence médiatique qui saturent le discours sur la Palestine et dominent la représentation de l’occupation. Il impose la persistance du regard et la durée comme résistance. Le temps se dilate jusqu’à faire ressentir physiquement la condition d’un peuple dont les mouvements sont entravés.
Le dispositif du film repose sur une mise en scène du réel : à la fois documentaire et performée. Le duo Augustijnen-Al Balawi évoque par moments celui d’un ethnographe et de son guide. Augustijnen construit un espace d’observation frontal, presque géométrique. La caméra, souvent fixe, cadre les discussions avec la distance d’un témoin scrutant les rituels d’un monde figé. Les cérémonies diplomatiques, les hommages à Arafat, les visites de lieux symboliques prennent des allures d’installations : le protocole devient performance, la mémoire, décor.
Ce regard, parfois troublant, interroge la position même du réalisateur occidental face à la cause palestinienne. Augustijnen expose au sens photographique du terme. Il fait de la représentation son sujet. Il filme sans aucun commentaire, aucun effet dramatique. Ce dépouillement produit une tension sourde. Dans cette frontalité, quelque chose se fissure : la distance critique se teinte d’empathie, le formalisme se laisse traverser par la fragilité du réel.
Le choix des interviewés renforce cette impression de délitement. Les rencontres avec les enfants d’Arafat, la fille de Moshe Dayan, ou encore les membres d’une OLP vieillissante, composent une galerie de figures plus symboliques que narratives. Augustijnen filme leur présence, leur manière de se tenir, de parler, de se souvenir. Chaque entretien devient un fragment d’histoire incarnée, une continuité brisée. Ces personnages portent le poids d’un récit collectif désormais sans centre, où la mémoire tourne sur elle-même. Dans leurs regards perdus, se lit la mélancolie d’une cause suspendue.
La Tunisie apparaît à plusieurs moments, discrètement mais significativement, dans le récit de ces vies. Ces trajectoires témoignent d’un lien durable entre notre pays et la Palestine, d’une proximité quotidienne qui va au-delà de la simple solidarité politique. La Tunisie se fait ici le témoin silencieux et fidèle de l’histoire palestinienne.
Dans le lent défilement de ces images, quelque chose résiste encore : un sens du temps, une fidélité à la mémoire. La fierté du titre dépasse celle d’une nation triomphante, elle devient celle, discrète, d’un regard qui persiste. Celle du cinéma, peut-être, lorsqu’il choisit de ne pas détourner les yeux
Fadoua Medallel | Octobre 2025