Les miennes
2024

Les miennes

Synopsis : Cadette d’une sororie de cinq, Samira convoque sa famille, caméra au poing, pour une rare réunion censée « nous aider, sans devoir passer par un psy ou un imam ». Sa mère reste muette. Ce n’est qu’arrivée dans son village natal qu’elle dévoile ses secrets, ses regrets, sa force – et que se dessine, entre amour et rejet, le lien et l’héritage bouleversant qui les unit. 

Cast & Crew
Les miennes : Entre exil et racines, le cinéma comme passeur de silence !

Les miennes de Samira El Mouzghibati

Le film s’ouvre sur une déflagration : le message vocal d’une mère qui lâche à une de ses filles, « Ne dis plus que tu as une mère. Je ne suis plus ta mère. C’est fini ! ». Violence d’une phrase qui condense des années de non-dits et d’incompréhensions générationnelles. C’est dans ce vacillement que la réalisatrice (Cadette d’une sororie de cinq) plante sa caméra pour chercher à comprendre.

Le documentaire se construit comme une traversée des silences familiaux. La mère, mariée très jeune au Maroc, rejoignant par la suite son mari en Belgique, a dû composer avec un déracinement et des attentes lourdes, façonnées par la culture et les contraintes d’un exil. Les filles, elles, grandissent « à la belge », dans des codes différents, avec des désirs distincts. Deux mondes qui coexistent, s’entrechoquent parfois, laissant un espace où les mots hésitent à se poser.

Pour ouvrir l’échange, la réalisatrice recourt à des dispositifs ludiques : des mots piochés au hasard (famille, liberté, partage, virginité). Ces mots font surgir des confidences et des définitions contrastées. La complicité entre les sœurs affleure partout, jusque dans les moments les plus marquants : comme lorsque la sœur aînée, mariée de force à 17 ans, célèbre son divorce trente ans plus tard, entourée de ses cadettes comme dans une fête adolescente.

La mère reste une ombre insaisissable. On la voit, on l’entend, mais souvent de biais : une voix off surgissant dans des moments de transition (déménagement, divorce, fêtes), comme si elle enveloppait les scènes sans y prendre part. Sa voix accompagne un arbre qui ploie et se redresse au gré du vent, rappelant, par sa majesté et sa force silencieuse, la réflexion sur l’origine et le lien à la vie que Terrence Malick explore dans The Tree of Life. Elle chuchote plus qu’elle ne parle, portant une souffrance indicible. Et lorsque la caméra l’accompagne au Rif, chez elle au Maroc, un autre visage apparaît : son rire se déploie différemment, sa démarche s’allège, elle semble enfin respirer et reprendre possession de son environnement.

Le film tient dans cette tension : comment donner place à celle qui s’efface ? Comment réintégrer la mère dans le cercle alors que son monde, ses blessures semblent inconciliables avec ceux de ses filles ? Le cinéma devient ici un outil fragile mais précieux : un moyen d’approcher la parole jusqu’à ses limites, de réconcilier sans forcément résoudre.

Le geste est d’autant plus fort qu’il s’appuie sur le montage, métier premier de la réalisatrice. Si elle a confié le travail final à une autre montueuse Lenka Fillnerova, c’est pour prendre distance, se laisser surprendre par d’autres lectures de sa propre histoire. Et cela se ressent : le film respire, circule entre douceur et heurts. Il finit par inventer une parole collective.

On pense à 3350 kilomètres de sara kontar (2023), le Pacha ma mère et moi de Nevine Gerits (2023): d’autres tentatives de filmer l’intime familial, d’approcher les fantômes par la caméra. Mais ici, la singularité tient dans la sororité, ce chœur de cinq femmes qui portent le récit, et dans la manière de faire exister la mère en creux, comme une présence qui hante tout le film.

C’est un documentaire pudique et politique à la fois. Il rappelle que les fractures intimes sont aussi des fractures sociales, culturelles, héritées de l’exil et de l’histoire coloniale. Il prouve qu’il est possible de transformer la douleur en images qui réparent, un peu.

Fadoua Medallel | Septembre 2025

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