La Guêpe et l’Orchidée
2023

La Guêpe et l’Orchidée

Synopsis : Dans le sud tunisien, la télévision façonne les rêves d’un village déserté. La Guêpe et l’Orchidée explore la migration, les illusions imposées et la colère silencieuse d’un cinéaste face aux images et au monde.

La Guêpe et l’Orchidée : entre illusion et désert !

 

La Guêpe et l’Orchidée de Saber Zammouri

 

Il y a des films qui se contentent de raconter une histoire, et d’autres qui révèlent un monde. La Guêpe et l’Orchidée de Saber Zammouri appartient à cette seconde catégorie. Le film débute dans le silence d’un village déserté, au sud de la Tunisie, pour s’élargir ensuite à l’immensité de Paris. Entre ces deux espaces s’ouvre un gouffre : une distance imaginaire. Un décalage culturel aux résonances existentielles.

Né dans les petites vallées des monts Matmata, Zammouri a grandi dans un univers rudimentaire : les soirées autour du feu et les histoires racontées par les anciens. Puis, un jour, l’électricité est arrivée, et avec elle la télévision. L’écran a remplacé les conteurs ouvrant une fenêtre sur un ailleurs fascinant : Paris. Là où Godard voyait dans la télévision un rival esthétique et industriel du cinéma, Zammouri l’a vécue comme une invasion intime et sociale : elle a bouleversé une communauté isolée, en imposant des images qui ont fabriqué les désirs de toute une génération qui a commencé à rêver de départ.

Après des études de théâtre à Tunis et une première expérience de cinéma collectif (Mezzouna après la chute, 2014), Zammouri s’installe à Paris en 2017. Là, il forge une œuvre enracinée dans son village mais tendue vers l’universel. La Guêpe et l’Orchidée, présenté en 2023 à l’IDFA d’Amsterdam puis en compétition au Cinemed de Montpellier en 2024, poursuit ce geste : faire dialoguer l’exil et la mémoire.

Le titre du film éclaire toute sa démarche. Dans la nature, certaines orchidées imitent la forme et l’odeur de la guêpe femelle. Trompé, le mâle s’approche, croit trouver l’objet de son désir, et repart avec le pollen de la fleur. Cette séduction par illusion est une métaphore que Deleuze avait déjà relevée pour penser la logique des simulacres et des pièges du désir. Chez Zammouri, elle prend chair dans la migration.
L’orchidée, c’est Paris : une ville magnifiée par les images avec la promesse d’une vie meilleure. La guêpe, ce sont les jeunes de Zamour, happés par cette vision, persuadés de choisir librement leur destin, mais en réalité guidés par un désir façonné de l’extérieur. Comme la guêpe, ils ne choisissent pas, ils sont pris dans un mécanisme plus grand qu’eux : celui du capitalisme et des médias.

Ce film se déploie comme une traversée intime. La manière de filmer Zammour, ce village déserté, en fait un cosmos à part entière, une métaphore du monde contemporain marqué par des territoires vidés par la migration. Par contraste, Paris apparaît à travers l’œil du cinéaste comme une ville sombre, étouffée par la publicité et accablée par le poids du devoir, un contrepoint oppressant au vide lumineux de Zammour.

La Guêpe et l’orchidée est traversé par une colère qui n’est jamais criée mais toujours prête à jaillir. C’est une révolte volcanique nourrie par des décennies de frustrations et de désillusions. Comme chez Jean Rouch, Zammouri capte les tensions silencieuses d’une communauté et d’un individu marginalisé, attentif aux gestes et aux silences. À la manière de Chantal Akerman, il donne à la durée la force d’une narration, où le vide devient matière.

Zammouri filme comme on entrouvre une brèche dans cette fatalité : la tension reste contenue, une lave sous la surface, menaçante et prête à fissurer la trame à tout moment. Le film laisse au spectateur le soin de décider si la guêpe est condamnée à toujours tomber dans le piège de l’orchidée.

Fadoua Medallel | Septembre 2025

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